Des textes qu'on voulait insérer mais que finalement non

Voici quelques textes qu’on a intégrés dans le crash-test d’Etrepigney. On les laisse finalement de côté car on a du mal à leur donner une juste place mais il reste tout près :

« Les jeunes qui ont l’audace de rester, malgré tous leurs engins et habitat rural rénové, ont de la peine à trouver des filles pour conjoindre (…) Elles fuient cette nouvelle race de ventriloques. Les fesses vissées au tracteur, leur tête est pleine de productions rentables, d’amortissements sérieux, de cotations indicatives, de prix d’intervention. Des projets de barbelés à tendre, d’arbres, de haies, de talus à bulldozériser. Plus de place pour les buissons à lièvres ou les bruissantes bordures d’oiseaux. Non, augmenter la surface cultivable, produire, produire. Il faut produire pour bombarder les préfectures de pêches, de tomates, de pommes de terre, de poulets, de cochons vivants, en se répétant que ces salopards des villes n’ont même pas la capacité stomacale d’engloutir leurs stocks invendus. » Marius Noguès, Grand guignol à la campagne

 Comme eux, je suis un arbre arraché dans les terres, sous la pluie, avec son grand feuillage couché comme une chevelure de morte. C'est bien cela...  Nous sommes arrachés au sol des métiers, des faits. à tout ce qui donne confiance et fierté. Arraché à ce qui donne la force de construire et le goût d'inventer  Georges Hyvernaud Lettres Anonymes

 Et puis là, c’est un autre texte de Georges Hyvernaud, qu’on a légèrement modifié, raccourci et que vous pouvez en intégralité dans Lettres Anonymes, cela s’appelle « Leur terre et leurs morts » : « Lorsqu'on tente de remonter le passé des gens de notre sorte, on se perd vite dans la profonde nuit paysanne. Quarante années il ne faut pas d'avantage pour vous séparer de la terre. Rupture irrémédiable car on ne sait même pas avec quoi on a rompu. Mon destin est un immense destin anonyme. Tout se reforme et se referme derrière vous sans vous. La terre c'est comme un sommeil comme l'enfance: incompréhensible une fois qu'on en est sorti. Quand je veux rassembler ces souvenirs je ne peux rien atteindre que de superficiel. Du pittoresque pour romans régionalistes. L'essentiel se dérobe. L'essentiel qui est une réalité sourde opaque et comme minérale. Il y a je ne sais pas: une connaissance des signes, une connivence avec les bêtes et les plantes, une qualité de regard, une puissance sur les choses et sur les mots qu'on ne peut plus retrouver, qu'on peut à peine même soupçonner. Il ne s'agit pas d'un autre mode de vie, d'une question de cravate ou de cinéma, mais d'un changement de nature. Les existences paysannes sont assurées, rassurées par la constance autours d'elles, des gens, des croyances, des saisons. Existences appuyées les unes aux autres, bien étayées dans l'espace et la durée, bien assises bien cramponnées aux choses immuables, contenues dans les limites visibles, orientées par d'évidentes nécessités.

L'homme des villes est seul, sans références sans repères. Il n'est pas porté par un passé, il ne prolonge rien. Mais ça lui est égal d'être ainsi parmi les choses sans histoire. Il s'en fout d'être l'homme qui passe parmi des choses sans histoire. C'est homme quelconque, il va au cinéma il lit des journaux. C'est un homme qui n'a même plus son âme à lui. Son âme ces comme le fauteuil et la commode de sa chambre: une âme de tout le monde, une âme de n'importe qui. Mais il y a une fierté au fond de lui. L'orgueil d'être parti, d'avoir refusé l'héritage, d'être allé vers la solitude et la force vers ce qui fait, ce qui devient.

Et pourquoi voir là une infidélité? peut être faudrait-il au contraire parler d'obéissance. Cette réponse à l'appel océanique des villes, elle se préparait dans les épaisseurs de la durée paysanne. Les ancêtres en sabots ronds ne s'étaient pas exprimés totalement dans l'accomplissement des tâches immémoriales. Des choses restaient à dire et à faire, des audaces étaient en réserve. Elles attendaient, pour se réaliser, leur heure et leur homme. Les morts qui n'avaient pas osé le départ, les morts comptaient sur celui là, qui est parti - sur ce type là, qui est dans une chambre meublé et qui regarde, par la fenêtre, des passants, la pluie, des lumières. Et de même, moi, en nourrissant ma vie de livre, j'ai conscience de tenir une promesse, d'exaucer le voeu obscure de certains êtres de mon sang, perdus dans les siècles et qui ne savaient pas lire. On est en quête de stabilité. On est pas sûr de soi. On renonce à ses responsabilités. On s'en remet à ses pères de la direction à choisir et de l'élan à prendre. Rien d'autre là qu'un masque du renoncement, de l'instinct d'immobilité.

Il y a eu un sacré brassage de peuples, une fameuse masse d'inquiétude et d'aventure, avant qu'on se rassemblât et qu'on se pétrifiât autours des clochers et des cimetières. Il y en a eu des mutations et des migrations. Et je ne vois pas pourquoi, serait épuisé cette force qui les poussait nos morts, sur les routes du monde, avec leurs chevaux et leurs armes, leurs bêtes, leurs dieux, leurs femmes, et ce grand vide dans leur coeur... et qui ne savaient pas lire. Il faut que certains homme soient enracinés dans le toujours; il faut aussi que certains choisissent le demain. »

 

 

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